L’année 2024 restera gravée dans l’histoire de l’immobilier français. 1 232 agences immobilières ont fait faillite, soit une augmentation de 225% par rapport à 2023. Ce niveau de défaillances approche le pic historique de la crise des subprimes (1 385 faillites en 2009) et révèle une transformation structurelle du secteur. Alors qu’octobre 2025 permet de prendre du recul sur cette crise, les premiers signes de reprise émergent, mais la question centrale demeure : quelles agences ont résisté et pourquoi ?
Les données convergent : les structures diversifiées, associant transaction, gestion locative et syndic, ont traversé la tempête quand les agences mono-activité ont sombré. Cette analyse compile les chiffres officiels du Groupe BPCE, d’Altares, de la FNAIM et des Notaires de France pour comprendre les mécanismes de cette crise et identifier les leviers de résilience.
Combien d’agences immobilières ont fait faillite en 2024 ?
1 232 agences immobilières ont fait faillite en 2024 selon le Groupe BPCE, soit une hausse de 225% par rapport aux 379 défaillances de 2023. Altares confirme ces chiffres avec 1 237 défaillances enregistrées fin novembre 2024, et certaines sources citent 1 243 faillites pour l’année complète. Cette concordance établit qu’environ une agence sur 24 a disparu en 2024, sur un parc estimé à 25 000 agences.
Cette vague de faillites se compare à la crise des subprimes de 2009, qui avait enregistré 1 385 défaillances. Toutefois, l’augmentation absolue de 980 défaillances en 2024 (passant de 252 en 2023 à 1 232) surpasse le rythme de 2009 (+880 faillites sur l’année). Le taux de défaillance relatif atteint 4,9 à 5,0% du parc en 2024, contre 5,9% en 2009, sur une base d’agences plus large (25 000 agences en 2024 contre 23 600 en 2008).
La progression trimestrielle révèle l’ampleur du choc
La répartition trimestrielle montre l’intensité de la crise : 389 faillites au premier trimestre 2024, 297 au deuxième (-24%), 224 au troisième (-25%), puis environ 322 au quatrième trimestre. Cette reprise des défaillances en fin d’année, après un ralentissement estival, illustre la persistance de la crise malgré les premiers signaux d’amélioration du marché.
Loïc Cantin, président de la FNAIM, avait alerté dès juin 2023 : « La FNAIM a alerté sur le fait que la plus grande crise depuis l’après-guerre entraînerait un nombre de défaillances comparable, voire supérieur, à celui de 2008 lors de la crise des subprimes. » La prédiction s’est révélée exacte.
L’immobilier au cœur de la crise économique française
Le secteur immobilier et construction a concentré 17 538 défaillances en 2024 (+36% versus 2019), dont 14 052 dans le bâtiment et 308 projets de promotion immobilière au seul quatrième trimestre. Alain Tourdjman, directeur des études du Groupe BPCE, résume la situation : « Le bâtiment et l’immobilier sont désormais en ‘sur-défaut’. La situation est particulièrement inquiétante dans les agences immobilières et la promotion immobilière. »
L’immobilier et la construction représentent 27% de l’ensemble des défaillances d’entreprises en 2024 (18 000+ faillites sur 66 000 à 68 000 totales), constituant le secteur le plus impacté en volume absolu. Les agences immobilières affichent une performance encore plus dégradée que le secteur dans son ensemble, avec +225% de défaillances versus 2023 et +229% versus 2019.
Pourquoi autant d’agences ont-elles fait faillite en 2024 ?
L’effondrement du marché transactionnel explique cette hécatombe. 780 000 transactions ont été réalisées en 2024, soit une baisse de 17% par rapport à 2023 et surtout -36% par rapport au pic de 2021 (1 213 000 transactions). Ce niveau représente le plus bas depuis 2015 et fait chuter le taux de rotation du parc immobilier à 2,0% contre 3,2% au pic de 2021.
Le choc des taux d’intérêt a gelé le marché
La hausse brutale des taux de crédit immobilier constitue le déclencheur principal de la crise. Les taux sont passés de 1,1% en 2021 à 4,17% en janvier 2024, soit une hausse de 300 points de base en moins de trois ans. Cette multiplication par quatre des taux a mécaniquement réduit la capacité d’emprunt des ménages, gelant le marché.
Malgré une baisse progressive à 3,60% en octobre 2024 (après 7 baisses de la BCE depuis juin 2024), les taux demeurent deux fois supérieurs aux niveaux de 2021. La production de crédit montre des signes de reprise avec 11,3 milliards d’euros en juillet 2024, remontant depuis le point bas de 6,9 milliards en mars 2024, mais reste sous la moyenne historique post-2011 de 12,1 milliards.
La chute des prix a aggravé l’attentisme
Les prix immobiliers ont accusé une baisse de -3,9% sur un an au troisième trimestre 2024 selon l’INSEE (indices Notaires-Insee publiés le 28 novembre 2024). À Paris, la baisse atteint -5,5% pour les appartements, faisant passer le prix moyen sous la barre des 10 000 €/m² pour la première fois depuis 2020, soit une chute de -28% en euros constants (ajusté pour l’inflation).
Cette décélération progressive (-5,2% au premier trimestre, -4,9% au deuxième, -3,9% au troisième, et seulement -2,1% projeté au quatrième trimestre) témoigne d’une stabilisation progressive mais d’un attentisme persistant. Vendeurs et acheteurs restent sur leurs positions, espérant une évolution favorable, ce qui prolonge les délais de transaction.
Des délais de vente qui asphyxient la trésorerie
Les délais de vente se sont considérablement allongés : 77 jours en moyenne dans les 11 principales villes françaises en mars 2024, contre 59 jours un an auparavant, soit +18 jours (+30%). Certaines villes comme Montpellier (90 jours), Bordeaux (85 jours) ou Toulouse (86 jours) dépassent désormais les trois mois.
Cette stagnation asphyxie la trésorerie des agences, qui doivent maintenir leurs coûts fixes pendant des mois sans encaisser de commissions. Le décalage structurel entre le travail effectué et l’encaissement (3 à 4 mois entre la conclusion d’une vente et le paiement des honoraires après signature chez le notaire) amplifie cette fragilité.
L’effondrement du marché du neuf
Le marché du neuf s’est effondré encore plus dramatiquement : 59 014 logements neufs mis en vente en 2024 (-29% versus 2023, -50% versus 2022), avec un stock disponible de 117 472 unités fin 2024 et un délai d’écoulement moyen de 23 mois (contre 17,6 mois un an plus tôt).
La promotion immobilière a enregistré 308 projets défaillants au quatrième trimestre 2024, un record absolu avec une hausse de 266% sur l’année. Seulement 250 000 mises en chantier de logements en 2024, le plus bas niveau depuis les années 1950, et 343 100 logements autorisés à la construction entre septembre 2023 et août 2024 (-9,5%, plus bas depuis 1992).
Pascal Boulanger, président de la FPI (Fédération des Promoteurs Immobiliers), qualifie 2024 d’« année cataclysmique, niveau de crise sans précédent depuis les années 1950 ».
Quel est le profil des agences qui ont fait faillite ?
Contrairement aux idées reçues, l’ancienneté ne protège pas de la faillite. Les agences établies depuis 15 ans ou plus représentent 27% des défaillances, un taux identique à celui des agences de 6 à 10 ans. À l’inverse, les agences récentes (3 à 5 ans) affichent un taux de faillite deux fois inférieur.
Thierry Millon, directeur des études chez Altares, explique ce paradoxe : « Les grandes agences paient aujourd’hui le prix de la surconfiance. En pariant sur une reprise rapide de la situation, elles ont maintenu des effectifs trop élevés, ce qui les a fragilisées. »
Le piège de la structure de coûts fixes
Les agences qui ont grandi pendant les années fastes (2020-2021) ont accumulé des charges incompressibles : salaires, loyers de locaux multiples, frais marketing. Lorsque les transactions se sont effondrées de 36%, ces coûts fixes sont devenus insoutenables.
Une enquête FNAIM de 2020, toujours pertinente, révélait que 38% des agences disposaient d’une trésorerie inférieure à 30 jours et 36% entre 30 et 60 jours, soit 74% vulnérables à toute interruption prolongée d’activité. Une interruption d’activité en mars signifie zéro revenu pendant 3 à 4 mois à cause du décalage structurel entre le travail et l’encaissement, un délai fatal pour les structures sous-capitalisées.
Le poids des PGE à rembourser
Le remboursement des PGE (Prêts Garantis par l’État) contractés pendant la crise COVID a constitué un facteur aggravant. 7,5% des entreprises ayant souscrit un PGE sont considérées « à risque » selon le Conseil d’analyse économique, avec 38,4 milliards d’euros encore à rembourser en décembre 2024 selon Bpifrance (dont 37 milliards portés par les PME).
Loïc Cantin souligne : « Le remboursement des PGE intervient à un moment où les entreprises sont déjà fragilisées, sans possibilité d’étalement complémentaire. » Face à cette crise, la FNAIM a créé une cellule opérationnelle « AGIR » en partenariat avec GALIAN SMABTP pour offrir conseil en gestion, plans de redressement et restructuration de trésorerie.
Les disparités géographiques
Géographiquement, l’Île-de-France concentre le plus grand volume de défaillances avec 676 faillites dans le secteur immobilier au sens large (+73,3%) selon l’étude Ellisphere de mars 2024. Les régions fortement impactées incluent la Nouvelle-Aquitaine (+73,7%), l’Occitanie (+79,8%), et le grand Sud-Ouest où certains départements (Gironde, Haute-Garonne, Pyrénées-Orientales) ont connu des baisses de transactions de -18% à -30%.
À l’inverse, la Corse affiche un contre-exemple remarquable avec -37,5% de défaillances, en totale opposition avec la tendance nationale. Cette résistance s’explique par un marché locatif dynamique porté par le tourisme et une dépendance moindre au marché transactionnel résidentiel.
Les réseaux et franchises touchés
Les réseaux et franchises n’ont pas été épargnés. Orpi a perdu environ 100 agences en deux ans selon son président Guillaume Martinaud, tandis que Century 21 France a connu une baisse de -16% de ses ventes en 2023 versus 2022.
Square Habitat (réseau Crédit Agricole) s’en sort mieux avec « peu de fermetures, se limitant à quelques regroupements d’agences », grâce au soutien du groupe bancaire et à une stratégie de diversification précoce. Ce contraste illustre l’importance du modèle économique et de l’accompagnement dans la résilience des réseaux.
Tableau comparatif : mono-activité versus diversification
Critère | Agence mono-activité (transaction) | Agence diversifiée (transaction + gestion + syndic) |
---|---|---|
Revenus | Uniquement commissions vente (sporadiques) | Revenus transactionnels + revenus récurrents mensuels |
Vulnérabilité crise | Très élevée (-36% transactions = -36% CA) | Modérée (gestion locative compense) |
Trésorerie | Instable, décalage 3-4 mois | Stabilisée par les revenus mensuels de gestion |
Valorisation entreprise | 0-15% du CA en période de crise | 2,5-3,2x le CA annuel (gestion locative) |
Taux de défaillance 2024 | Significativement plus élevé (confirmation qualitative FNAIM) | Résilience démontrée |
Seuil de rentabilité gestion | Non applicable | 80-100 lots gérés |
Revenu mensuel par lot géré | 0 | 1 000 – 2 000 € |
Part de marché actuelle | 40% des agences (estimé) | 60% des agences (gestion locative) |
La diversification : facteur de résilience démontré
La FNAIM affirme que les agences mono-activité (transaction uniquement) sont significativement plus exposées que les structures multi-activités pratiquant transaction, gestion locative et syndic de copropriété. Loïc Cantin déclare : « Dans ce contexte économique difficile, on remarque que lorsque l’on exerce une seule activité de transaction, on est plus exposé qu’une structure multi-activité (agent immobilier, administrateur de biens, syndic de copropriétés). »
Point de vigilance méthodologique
Le chiffre souvent cité de « 50% des agences défaillantes étaient mono-activité » représente une confirmation qualitative forte de la vulnérabilité différentielle, mais aucun rapport officiel consulté ne présente cette statistique exacte. Les sources confirment le principe (mono-activité = plus vulnérable) sans fournir le pourcentage précis.
Ce qui est établi avec certitude : 60% des agences offrent désormais de la gestion locative aux côtés de la transaction, et 37% des agences membres de la FNAIM pratiquent les trois activités (transaction, gestion locative, syndic) selon les données FNAIM portant sur 3 352 bureaux membres. Cette tendance à la diversification s’est fortement accélérée pendant la crise 2023-2024.
L’économie de la gestion locative
Le marché français de la gestion locative externalisée représente environ 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel (⅓ du CA total du secteur immobilier de 19,4 milliards selon la FNAIM, données 2023). Seulement 35% des locations privées sont gérées par des professionnels (données FNAIM 2023-2024), laissant un potentiel de développement considérable parmi les 65% encore en auto-gestion sur un parc total estimé à 6 millions de locations.
La structure de revenus diffère radicalement de la transaction. Les commissions de gestion locative s’élèvent typiquement à 7 à 8% TTC du loyer mensuel charges comprises (fourchette observée : 5 à 10%), générant un revenu récurrent mensuel moyen de 1 000 à 2 000€ par lot géré.
Une agence atteignant le seuil de rentabilité de 80 à 100 lots gérés dispose alors d’un socle de trésorerie stable, contrairement aux revenus sporadiques et imprévisibles de la transaction. Les modélisations financières sectorielles montrent que les coûts fixes d’agence se situent entre 3 500 et 6 000€ mensuels, avec des coûts variables de 60 à 120€ par lot. La rentabilité devient positive au-delà de ce seuil, et les économies d’échelle optimales se matérialisent à partir de 150+ lots gérés.
Une valorisation d’entreprise multipliée
Cette stabilité se reflète dans les valorisations d’entreprise : un portefeuille de gestion locative se valorise 2,5 à 3,2 fois le chiffre d’affaires annuel HT, contre seulement 0 à 15% du CA pour une activité de transaction pure en période de crise. Ce multiplicateur de valorisation de 1 à 20 illustre la préférence des investisseurs et acquéreurs pour les revenus récurrents et prévisibles.
Les portefeuilles de syndic se valorisent quant à eux à 1 à 1,5 fois le CA annuel, position intermédiaire entre transaction et gestion locative. Cette hiérarchie de valorisation constitue le signal économique le plus puissant de la nécessité stratégique de diversification.
Le marché locatif est resté dynamique
Le marché locatif est resté dynamique pendant toute la crise : tension locative nationale à 4,8 candidats par offre en 2024 (contre 3,35 en 2023), taux de vacance inférieur à 6% nationalement (moins de 3% dans les grandes villes), et hausse des loyers de +3,3% annuellement en 2024-2025 selon LocService.fr.
Cette résilience du marché locatif contraste fortement avec l’effondrement transactionnel, validant la stratégie de diversification. Les agences qui avaient développé cette activité avant la crise ont pu absorber une partie de la baisse des revenus transactionnels grâce aux revenus récurrents de la gestion.
Les témoignages du terrain
Des exemples concrets illustrent cette stratégie. L’agence parisienne 7 fois 7 Immobilier témoigne : « Nos deux agences ont dû développer les pôles location et gestion suite à la baisse des transactions. » Le réseau CIMM IMMOBILIER systématise l’approche : « Notre premier métier est la transaction immobilière, mais au fil des années nous avons su développer d’autres compétences : la location et la gestion locative… Nous organisons fréquemment des formations afin que chaque franchisé qui le souhaite puisse pratiquer tous ces métiers avec succès. »
Tous les grands réseaux (Century 21, Laforêt, Orpi, Era, Guy Hoquet, Nestenn) encouragent désormais systématiquement cette diversification, suivant le modèle pionnier de Century 21 qui l’avait initié il y a 30 ans lors de la crise de 1992. Pour les agences souhaitant développer cette activité sans détenir la carte G obligatoire, des solutions d’externalisation permettent de proposer rapidement des services de gestion locative.
Les premiers signes de reprise en 2025
Depuis la perspective d’octobre 2025, les données des trois premiers trimestres révèlent une amélioration progressive. Les défaillances d’agences immobilières ont baissé de -17% au premier trimestre 2025 par rapport au quatrième trimestre 2024, confirmant la tendance amorcée mi-2024.
Cette amélioration contraste avec la promotion immobilière qui affiche encore +21% de défaillances au premier trimestre 2025. Thierry Millon d’Altares nuance : « Ce premier trimestre n’a pas encore permis au nombre de défaillances d’entreprises de reculer, mais la tempête s’éloigne même si des nuages persistants invitent à rester prudents. »
La reprise des transactions
Cette amélioration s’inscrit dans un contexte de reprise modeste des transactions. La FNAIM prévoit 825 000 transactions en 2025 (+6% versus 2024), soutenue par la baisse continue des taux de crédit. Les taux de crédit immobilier sont passés de 4,17% en janvier 2024 à environ 3,60% en octobre 2024, avec des prévisions tablant sur 3,0 à 3,5% courant 2025.
Le taux d’usure, qui limitait l’accès au crédit, a également baissé à 6,03% pour les prêts de plus de 20 ans au quatrième trimestre 2024 (-0,10 points versus Q3), facilitant l’octroi de prêts. Les conditions d’octroi s’assouplissent : les banques n’utilisent que 15% de la marge de flexibilité autorisée par le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), contre 20% autorisé.
La stabilisation des prix
Les prix immobiliers se sont stabilisés progressivement. Le quatrième trimestre 2024 a enregistré -1,6% en rythme annuel (France métropolitaine) contre -3,9% au troisième trimestre, avec même un +0,1% en variation trimestrielle au Q4. Cette stabilisation améliore le pouvoir d’achat immobilier : les ménages moyens peuvent désormais acquérir 55 m² d’appartement ancien (+1 m² versus 2023) et 92 m² de maison (+3 m² versus 2023), grâce à la combinaison de la baisse des prix (-6% en euros constants en 2024) et de l’amélioration des revenus (+1,6% estimé).
Une prudence maintenue pour 2025-2026
Cependant, les experts restent prudents. Alain Tourdjman du Groupe BPCE prévient en janvier 2025 : « Il est difficile de faire des prévisions pour les défaillances en 2025, particulièrement sur le secteur de la promotion immobilière où on observe beaucoup de variations chaque trimestre. Nous anticipons que le secteur va rester sous tension, marquée par le faible niveau des ventes même s’il pourrait y avoir une légère amélioration. » Il ajoute : « Il est difficile d’envisager une amélioration claire avant 2026 ».
Le BPCE table sur 68 000 défaillances d’entreprises tous secteurs confondus en 2025 (contre 65 764 à 67 830 en 2024 selon les sources), avec 240 000 emplois menacés. EY propose une prévision légèrement plus optimiste à 64 500 défaillances totales, anticipant une légère amélioration grâce à une croissance du PIB de +1,1% et à l’assouplissement des conditions de crédit par la BCE, mais précise que ce niveau restera 19% supérieur aux niveaux pré-pandémie.
Les conditions d’une reprise durable
Pour les agences immobilières, la voie de la survie passe impérativement par plusieurs leviers complémentaires.
1. La diversification des sources de revenus
60% des agences ont déjà ajouté la gestion locative à leur offre, reconnaissant que « difficile de se limiter à un seul métier » selon le consensus sectoriel exprimé par le Journal de l’Agence. Les 40% restants demeurent exposés aux soubresauts du marché transactionnel.
La croissance externe via acquisition de portefeuilles de gestion locative constitue une stratégie de plus en plus adoptée. Avec des valorisations à 2,5-3,2 fois le CA annuel, l’achat de portefeuilles permet d’atteindre rapidement la masse critique de 80 à 100 lots et de diversifier immédiatement les revenus.
2. L’investissement technologique
L’investissement dans les outils digitaux (CRM, signature électronique, automatisation des processus) réduit les coûts opérationnels de 10 à 30% par lot géré pour un investissement de 300 à 600€ mensuels selon les modélisations financières sectorielles. Les agences atteignant une masse critique de 150+ lots bénéficient d’économies d’échelle optimales et d’une valorisation d’entreprise multipliée.
3. Les conditions macroéconomiques nécessaires
Au niveau macroéconomique, cinq conditions doivent être réunies pour une reprise soutenue :
Poursuite de la baisse des taux d’intérêt (✓ en cours) : Les baisses multiples de la BCE en 2024-2025 ont ramené les spreads sur les prêts commerciaux de 183 points de base début 2025, permettant des refinancements anticipés. L’objectif de taux hypothécaires à 3,0-3,2% au printemps 2025 apparaît atteignable et pourrait restaurer une partie du pouvoir d’achat perdu.
Stabilité politique (❌ non acquise) : La dissolution de juin 2024 et la motion de censure de décembre 2024 ont créé une incertitude majeure. 56% des dirigeants de TPE-PME citent l’instabilité politique comme impact majeur sur leur activité selon BPI-Rexecode. L’incertitude budgétaire pour 2025 et les risques de dégradation par les agences de notation maintiennent la pression.
Amélioration de l’accès au crédit (⚠️ partielle) : Les refus de prêts bancaires aux dirigeants de PME ont augmenté de +34% en un an, créant un problème structurel pour un secteur historiquement dépendant du financement bancaire.
Résolution de l’endettement PGE (⚠️ préoccupation persistante) : 38,4 milliards d’euros restent à rembourser selon Bpifrance (décembre 2024), dont 37 milliards portés par les PME. 4% des entreprises craignent l’incapacité de rembourser et 7,5% sont considérées « à risque ».
Réformes administratives et fiscales (❌ non mises en œuvre) : La France porte la charge réglementaire la plus lourde d’Europe selon MoneyRadar/Altares. Les délais de création d’entreprise atteignent plusieurs semaines en France contre 24 heures en Estonie (99% des services digitalisés). Les cotisations sociales représentent 67% du coût salarial, supérieures aux voisins européens.
L’immobilier français dans le contexte européen
À l’échelle européenne, la France fait partie des marchés les plus touchés, aux côtés de l’Allemagne et du Royaume-Uni, tandis que l’Espagne et l’Italie montrent « des signaux distinctement plus positifs » selon l’analyse Euronews d’avril 2024.
L’Allemagne traverse une crise immobilière commerciale sévère avec des effondrements majeurs (Signa, Adler Group, Consus Real Estate, Gerch Group), +23,5% de faillites d’entreprises en 2023 (18 100 cas), et des prêts non-performants en immobilier commercial augmentant de +56% (de 6,2 à 9,7 milliards d’euros entre septembre 2022 et 2023). Les prix de l’immobilier commercial allemand ont chuté de -17,2% entre le deuxième trimestre 2022 et le premier trimestre 2024.
Le marché du crédit immobilier européen montre une reprise hétérogène fin 2024 : Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie et Pays-Bas enregistrent une reprise modeste des volumes de prêt, tandis que la France reste à la traîne malgré une chute initialement moins brutale en 2023.
L’Union européenne dans son ensemble prévoit +23% de défaillances versus les niveaux pré-pandémie en 2025 selon EY, soit une situation plus dégradée que la moyenne mondiale (+11%). L’Europe porte également un « mur de dette immobilière » avec 650 milliards d’euros d’échéances arrivant à maturité d’ici 2025 selon l’étude PwC/ULI Emerging Trends in Real Estate Europe 2024.
Une enquête révèle que 76% des professionnels estiment que les valorisations ne reflètent pas la réalité du marché, et 75% citent les taux d’intérêt, l’inflation et la croissance économique comme préoccupations principales.
Les leçons d’une crise historique
L’année 2024 restera comme un point d’inflexion pour le secteur immobilier français. La disparition de 1 232 agences dans une crise d’ampleur comparable à 2009 démontre l’obsolescence du modèle traditionnel fondé exclusivement sur les transactions.
La confirmation par la FNAIM et l’ensemble des acteurs sectoriels établit que les agences diversifiées résistent significativement mieux que les structures mono-activité. Les écarts de valorisation de 1 à 20 entre portefeuilles de gestion locative (2,5-3,2x CA) et activités de transaction pure (0-15% CA) valident économiquement cette stratégie.
Henry Buzy-Cazaux, président de l’IMSI, appelle à saisir « cette crise immobilière comme une opportunité pour les professionnels de faire une pause et d’ouvrir leur esprit après l’euphorie des années récentes, de faire le point sur leur profession et les nouvelles stratégies qu’ils peuvent développer. »
En octobre 2025, alors que les premiers signes de reprise se confirment (-17% de défaillances au Q1 2025, +6% de transactions attendues sur l’année), la question n’est plus de savoir si la diversification est nécessaire, mais de comprendre comment la mettre en œuvre rapidement pour sécuriser l’avenir de son agence.
Les données du premier trimestre 2025 montrent que la tempête s’éloigne, mais comme le souligne Thierry Millon d’Altares : « des nuages persistants invitent à rester prudents ». La reprise franche ne sera probablement pas visible avant 2026 selon Alain Tourdjman. Dans ce contexte, les agences qui n’ont pas encore diversifié leurs activités restent dangereusement exposées aux soubresauts d’un marché qui mettra plusieurs années à retrouver ses niveaux de 2021.